dimanche 26 avril 2009

Les services urbains dans les villes en développement

chiffoniers à Khartoum (source : UNEP)

A peu près la moitié des citadins du monde n'ont pas accès aux services urbains de base, à savoir l'eau potable (1), l'assainissement, le traitement des déchets et l'approvisionnement en énergie. Or, les investissements dans de telles infrastructures engendrent souvent des effets de leviers considérables : une dépense d'1 dollar pour améliorer l'accès à l'eau se traduit ainsi par des gains de 3 à 34 dollars (UNICEF).

Concernant la maîtrise d'ouvrage de ces infrastructures, il apparaît de plus en plus nettement que l'échelon local est le plus qualifié : les particularités locales sont mieux prises en compte et l'on diminue les aléas bureaucratiques. Aussi est-il important que les bailleurs acceptent de prêter à des collectivités locales plutôt qu'aux seuls Etats.

La gestion de ces services peut être du ressort des autorités publiques, entièrement privatisée, ou faire l'objet d'une formule mixte (construction-exploitation-transfert, concession, contrat de gestion, crédit-bail). Le partenariat public-privé peut se révéler avantageux, car les acteurs privés peuvent résoudre la question du financement, améliorer le niveau technique des infrastructures et rationaliser leur gestion. Le partenariat ne peut toutefois être durable que si les responsabilité des acteurs soient clairement encadrées, tant en ce qui concerne le calendrier des investissements, le financement, les normes de qualité ou les tarifs.


Afficher Gestion déléguée des services urbains sur une carte plus grande

Le calendrier de mise en place de ces infrastructures doit concilier qualité de service, rentabilité et couverture extensive de la population. Dans les quartiers les moins solvables, leur développement est souvent plus lent, mais il est souhaitable qu'un service minimum soit garanti. On peut ainsi adapter le maillage du réseau de manière à ce qu'il offre en certains points un accès semi-collectif, ce qui permet à plusieurs personnes d'en partager les frais . A Bengalore, il est par exemple possible d'ouvrir un accès en eau pour 8 à 12 personnes dans les zones très peuplées. Les gestionnaires se penchent également sur la possibilité d'installer en certains endroits des installations décentralisées, c'est-à-dire non connectées au réseau, afin de maintenir à faible coût une certaine qualité de service. Pour ce qui est de l'accès à l'eau potable, ce peuvent être des modules de purification (2). Mais la gestion des services peut souvent se faire de manière autonome et partir de l'existant. Ainsi, l'assainissement des eaux peut être laissé à des personnes privés, le rôle des autorités consistant à agir le long de la filière pour en limiter les externalités négatives, en subventionnant l'amélioration des fosses, en réglementant la profession de vidangeur, ou en veillant à ce que les boues soient transférées vers des stations de traitement. De même, dans certains districts de Port-au-Prince, l'opérateur public a délégué la gestion des fontaines à des comités de résidents, qui sont en mesure d'accéder au service grâce aux économies de main d'oeuvre.

D'importantes économies peuvent être réalisées à travers la maintenance du réseau. Dans les régions méditerranéennes, on estime à 25% les pertes du réseau de distribution en eau. A Rabat et à Tunis, il a été possible de réduire ces dernières de 10% grâce à des programmes ciblés.

Enfin, la valorisation des sous-produit peut contribuer à assurer le financement des infrastructures de services. Ainsi, les eaux usées peuvent être utilisées pour les besoins de l'agriculture : elles couvrent 15% de ces besoins en Israël et en Egypte.

(1) 95% des citadins ont accès à l'eau potable et 80% bénéficient de l'assainissement (Banque mondiale, 2004).
(2) le module Naïade, dont le prix d'achat est de 3800 €, peut assurer les besoins quotidiens en eau d'une communauté de 500 habitants, c'est-à-dire 2500 litres par jour. Life straw est quant à lui un purificateur à l'échelle individuelle ou familiale.

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Analyse de six expériences de gestion déléguée par l'ISTED
Institut de la gestion déléguée
Banque mondiale

mercredi 15 avril 2009

Ecovilles et écoquartiers

conçu par l'équipe de Bill Dunster, le quartier de BedZed (pour Beddington Zero (Fossil) Energy Development) à Londres regroupe 100 logements. Le projet a permis de diminuer de 50% l'empreinte écologique par rapport à la ville de Londres, soit 2,88 ha globaux par personne.

La révolution écologique se fera dans les villes ou ne se fera pas. C'est en tout cas le constat qu'amènent les chiffres suivants : les villes rassemblent aujourd'hui 50% de la population mondiale sur 2% de la surface terrestre, mais elles concentrent 80% des émissions de CO2 et consomment 75% de l'énergie mondiale. Ces statistiques globales masquent bien évidemment une grande diversité de cas. Certaines villes se révèlent ainsi bien moins polluantes que les autres : à New York, les rejets de CO2 par habitant sont inférieurs d'un tiers à la moyenne américaine tandis qu'à Sao Paulo, Rio, Londres, Barcelone et Tokyo, ils sont inférieurs de moitié à la moyenne nationale. Certes, ces différences s'expliquent en partie par la localisation des industries polluantes : à l'échelle mondiale, elles ont reflué vers les pays en développement tels que la Chine (1). Mais beaucoup de ces métropoles ont également mis en place des stratégies de développement durable (2), qui sont autant d'exemples à suivre pour réduire l'impact environnemental de l'urbanisation.

Une ville "durable" doit satisfaire à plusieurs objectifs, parmi lesquels certains sont mesurables (réduction des gaz à effet de serre et de la pollution en général, économies d'énergie, maintien de la biodiversité,...) et d'autres moins, mais tout aussi importants pour le bien-être (qualité du paysage, absence de tensions sur les circuits économiques, ...). Le WWF les a formalisé en 10 principes.

la future ville de Masdar serait dotée d'un réseau de véhicules électrique remplaçant les voitures

Peut-être les ambitieux projets de villes vertes à proximité d'Abu-Dhabi à Masdar (3), de Shanghaï à Dongtan (4) ou de Tianjin sont-ils le mieux placés pour les respecter. Si elles recourent à des principes de l'urbanisme traditionnel, comme l'établissement de rues ombragées à Masdar, elles contiennent nombre d'innovations technologiques, telles que des capteurs solaires et des éoliennes intégrés aux bâtiments, un réseau de mini-tramways électriques remplaçant les automobiles à Masdar. Si ces projets peuvent avoir vocation à préfigurer les villes de l'avenir, ils n'apportent pas l'ensemble des réponses aux défis environnementaux que connaissent les métropoles actuellement, et où il faut partir de l'existant. Les expérimentations effectuées dans de très nombreux écoquartiers à travers le monde pourraient donc s'avérer bien plus bénéfiques dans l'immédiat. On peut citer BedZed à Londres, Vesterbro à Copenhague, Kronsberg à Hanovre, Vauban à Fribourg, Métamorphose à Lausanne ou bientôt les Batignolles à Paris... Essayons d'en tracer les principaux axes :
  • les transports sont responsables de 30% des émissions de CO2 en France (5). Afin de les réduire, les déplacements doivent être réduits à la portion congrue. On évoque ainsi un idéal de 10mn de trajet à pied pour accéder aux services quotidiens (6), ce qui implique souvent une densification de l'habitat. La priorité peut être accordée aux transports collectifs, à l'autopartage et aux modes de déplacement doux (marche et vélo). Certaines mesures plus coercitives pourraient également contribuer à ces objectifs (péages ou interdiction des flux automobiles en centre-ville...). Le développement d'un système agricole dans l'espace urbain ou périurbain immédiat (jardins partagés, tours agricoles...) pourrait lui aussi limiter considérablement l'usage des transports.
  • l'industrie provoque 20% des émissions de CO2 en France, et 36% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. L'adoption de standards plus sévères pourrait entraîner dans les villes en développement des réductions d'émission, comme on l'a enregistré dans les pays industrialisés.
  • les bâtiments sont responsables de 20% des émissions de CO2 en France, essentiellement (70%) en raison du chauffage. L'isolation thermique, l'adoption d'appareils de chauffage équipés de filtres ou à énergie "propre" sont quelques-unes des solutions envisageables pour diminuer ces émissions et réaliser des économies d'énergie.
  • la production d'énergie entraîne 13% des émissions de CO2 en France. Le recours à des sources d'énergies propres et renouvelables (éolien, photovoltaïque, géothermie, bio-gaz issus de l'assainissement des eaux usées...) est d'autant plus envisageable que la taille des villes permet de réaliser d'importantes économies d'échelle.
  • la diminution des des déchets ménagers (ils sont produits à hauteur de 1kg par habitant et par jour à Paris) et leur recyclage permet de diminuer la pollution et de réaliser des économies d'énergie. Leur gestion nécessite des investissements importants. Toutefois, la collecte et le tri par pneumatique devrait être expérimenté à partir de 2014 dans le futur écoquartier des Batignolles à Paris.
  • la consommation d'eau peut-être diminuée par la récupération des eaux de pluies. Le circuit des eaux peut également être optimisé afin que celles-ci servent par exemple à l'agriculture, comme cela devrait être le cas à Masdar.
  • la sauvegarde des espaces naturels (espaces aquatiques, boisés, littoraux, montagnards...) est un aspect très important de cette démarche. Elle préserve la biodiversité et la qualité de vie des riverains. Le couvert végétal permet d'équilibrer le bilan carbone, d'annuler l'effet des îlots de chaleurs urbains (7) et peut également jouer un rôle préventif contre certains risques naturels tels que les inondations. Aussi, de nombreux aménageurs recherchent aujourd'hui l'interpénétration des milieux urbain et naturels, à travers la réouverture des cours d'eaux urbains ou encore la végétalisation des murs et des toitures. En France, où 4,8% du territoire a été artificialisé entre 1990 et 2000, la question de l'insertion de l'espace périurbain dans l'espace naturel est primordiale.
  • il est important de rendre les écoquartiers économiquement accessibles à tous, et par conséquent de modérer le prix des logements. Le surcoût ne devrait ainsi pas dépasser 20%. Cependant, l'objectif de mixité sociale reste difficile à atteindre : 75% des habitants du quartier Vauban sont par exemple des cadres supérieurs ou exercent des professions libérales. Les écoquartiers, peut-être parce qu'ils sont nombreux à naître à l'initiative des habitants, n'en sont pas moins des lieux innovants en matière de gouvernance : la ville de Fribourg a ainsi largement financé le processus de concertation dans le quartier Vauban.
On peut ainsi imaginer une multitude de mesures mais aucune d'entre elles ne peut entraîner seule un retournement de tendance. Les mener de front nécessite donc une très forte coordination des acteurs, qu'il s'agisse de diffuser les bonnes pratiques ou de sensibiliser les populations.
A l'échelle mondiale, cette coordination est assurée par des organismes tels que le programme ONU-Habitat, la Banque mondiale, l'OCDE, des associations de collectivités locales (ICLEI, CGLU, Metropolis, Sustainable cities...) ou des instituts de recherche (IIED, ...).
L'Union européenne, à travers le programme LIFE+, finance des projets en faveur de l'environnement urbain. Elle soutient également les réseaux d'acteurs locaux (Eurocités, Campagne des villes européennes durables...) avec le programme URBACT, qui s'attache à établir des réseaux thématiques entre plus de 200 villes.
En France, les collectivités locales sont incitées depuis 2004 à élaborer des Plans climats territoriaux avec l'aide de l'ADEME. Le Grenelle de l'environnement (octobre 2007), dont une première loi de programme a été adoptée en février 2009, a donné lieu à de nombreuses annonces en ce qui concerne les transports, le bâtiment ou le traitement des déchets. Mais c'est le plan Ville durable, annoncé en octobre 2008, qui traite explicitement la question urbaine : il prévoit des aides supplémentaires pour quelques villes dans le cadre de la démarche EcoCités (8) et la création, d'ici 2012, d'au moins un Ecoquartier "dans toutes les communes qui ont des programmes de développement de l’habitat significatif". Enfin, il devrait apporter des aides aux transports collectifs hors Île-de-France.

(1) à la différences des métropoles occidentales évoquées auparavant, Pékin a un taux de rejet de gaz à effet de serre deux fois supérieur à la moyenne nationale. Mais cette pollution est majoritairement d'origine industrielle (66% contre 10% à New York).
(2) New York, Londres, Chicago ou Amsterdam ont par exemple élaboré des plans d'action contre le changement climatique. Mais on peut également trouver des mesures "durables" au sein des Agendas 21 locaux ou dans les documents stratégiques généraux.
(3) à terme, en 2015, la ville de Masdar devrait accueillir 50 000 habitants et 1500 entreprises sur 6km2. Sa conception, qui se fixe les objectifs de zéro déchets et zéro émissions de CO2, a été confiée au cabinet Foster & Partners et sa construction a été lancée en 2008. Le coût des travaux est estimé à 22 Mds de $.
(4) Bâtie sur l'île de Chongmin d'une superficie de 86km2, Dongtan devrait accueillir à terme 500 000 personnes en 2050. Sa conception a été confiée au cabinet d'ingénierie ARUP. La soutenabilité du projet fait toutefois l'objet de critiques. Pour s'y plonger.
(5) la part des transport dans les émissions de CO2 varie cependant énormément selon l'offre en transports collectifs, le taux de motorisation, etc.. A Londres, elle est de 20%, mais à Sao Paulo, elle atteint 60%.
(6) Marina Pala, La ciudat sostenible, catalogue d'exposition, 1998
(7) l'effet de chaleur peut être compensé dès lors que le couvert végétal représente 20% de la superficie urbaine
(8) cette démarche fait suite au discours présidentiel du 11 décembre 2007 à Vandœuvre Lès Nancy qui prônait la création de "villes d’un genre nouveau [qui] devront être des laboratoires de la modernité urbaine". Elles s'adresse aux intercommunalités de plus de 100 000 habitants, dont la population est amenée à progresser de 30% ou de 50 000 habitants.

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Portail des Agendas 21 locaux
ONU Habitat, L'Etat des villes du monde 2008-2009
Nedialka Sougareva & nathalie Holec, L'histoire des villes durables européennes, 2002
Charte d'Aalborg des villes européennes durables, 2003