samedi 20 décembre 2008

Lost highways

Le 5 décembre dernier, la Cité internationale universitaire de Paris accueillait un colloque consacré à l'insertion urbaine du boulevard périphérique. Une initiative soutenue par les villes de Paris et de Gentilly, qui a permis de comparer plusieurs approches, françaises et étrangères, de requalification des autoroutes urbaines.

L'enjeu est de taille, car ces autoroutes sont des infrastructures immenses. Le boulevard périphérique de Paris, objet d'étude principal de cette journée, représente à lui seul près de 10% de la superficie de la ville (1) et serait selon certaines estimations l'autoroute urbaine la plus fréquentée du monde (tout du moins d'Europe) avec un trafic quotidien de plus d'un million de véhicules. 1 millions de voitures qui l'utilisent comme un moyen efficace bien que souvent encombré pour des déplacements entre Paris et la banlieue ou de banlieue à banlieue. Il n'est pas rare que les autoroutes se situent au coeur du tissu urbain. C'est un peu le cas de villes comme Moscou, dont la croissance n'a cessé de se déverser au-delà des voies circulaires, et où les planificateurs ont anticipé la forte croissance du trafic routier avec des radiales à voies multiples. On pourrait citer également le cas des villes américaines, telles que Los Angeles, où le ratio entre la longueur du réseau autoroutier et la superficie totale de la ville avoisine 1, un chiffre bien supérieur à celui qu'on enregistre habituellement dans les métropoles européennes (2).

Futurama : imaginée pour le pavillon General Motors à l'exposition Universelle de 1939
source : http://morrischia.com

Les modèles du tout-automobile, tels que le Futurama de Bel Geddes, ont profondément influencé la forme des villes au milieu du 20° siècle. A l'époque où on achevait le périphérique, dans les années 1960, Paris elle-même a manqué de peu dans les années 1960 d'être traversé par un réseau autoroutier interne. Aujourd'hui, de nombreuses autoroutes urbaines sont toujours en chantier (3). Cependant, on s'aperçoit qu'elles jouent surtout un rôle structurant à l'échelle de la région et que l'enthousiasme qu'elles suscitaient a laissé place à de nombreuses critiques :
  • pour les riverains, elles amenuisent considérablement la qualité de vie des riverains. Ils sont 100 000 le long du périphérique parisien, dans 2000 logements, à vivre dans niveau de bruit supérieur à 80 décibels (alors que le seuil de tolérance a été fixé à 70 décibels en journée) et une pollution supérieure à la normale.
  • à l'échelle du quartier, elles créent une coupure physique et mentale importante. On peut en juger par le sentiment de relégation qui peut parfois accompagner un déménagement "de l'autre côté du périphérique" ou tout simplement par les difficultés qu'un piéton éprouve encore actuellement à le franchir. Les répercussions ne se situent pas seulement au niveau individuel : dans les communes situées à proximité immédiate de Paris, on mesure bien les avantages que pourrait procurer l'effacement de cette limite, que ce soit en terme d'image ou d'élargissement de la zone de chalandise pour les commerces.
Que faire dès lors avec ces autoroutes pour en réduire les nuisances ? Florence Hanappe a présenté durant son exposé un aperçu de différentes interventions réalisées à l'étranger :
  • les efforts peuvent porter sur l'infrastructure, que ce soient des franchissements piétons réguliers, des verrières antibruits (Munich), ou un immeuble-pont (La Haye).
  • la couverture de l'autoroute a été réalisée dans de nombreuses villes, comme à Amsterdam ou à Madrid. Toutefois, cette solution se heurte au problème du financement. Selon un des intervenants parisiens du colloque, il faut en effet compter au minimum 5500 euros par mètre carré. A Boston, le projet du Big Dig en cours depuis le début des années 1990 a coûté l'équivalent de 12 milliards d'euros. Cependant, l'enfouissement ne se révèle pas toujours un puit sans fond pour le contribuable. Le Quartier international de Montréal, qui s'appuie sur un partenariat entre les pouvoirs publics, le secteur privé et des associations de riverains, annonce des retombées de 1 milliard de dollars, pour un investissement initial de 90 millions de dollars.
  • certaines autoroutes vieillissante et devenues inutiles ont été détruites. A Birmingham, on a ainsi requalifié le Masshouse circus. De même, à Séoul, une autoroute accueillant 100 000 voitures par jour a laissé place à une rivière artificielle (coût de 360 millions d'euros).
  • des solutions hybrides peuvent enfin être adoptées, ainsi qu'à Barcelone où, en amont des Jeux Olympiques de 1992, un soin particulier a été apporté à la réalisation des Rondas, tant au niveau technique que de leur mise en scène. Selon les mots de Stéphanie Fy, auteur d'une étude pour le compte de l'APUR, ces voies rapide, d'une longueur totale de 36 kilomètres, "articulent parfaitement les échelles territoriales et locales" et se trouvent "toujours associée à la création d'espaces publics ou d'équipements".


exemples d'infrastructures franchissantes : L'immeuble du Malietoren à La Haye (Benthem Crouwel, 1996) et le centre commercial de Brunnen près de Berne (Daniel Libenskind, 2007)


Séoul : avant et après intervention

L'avenir du boulevard périphérique parisien a fait quant à lui l'objet de nombreuses études ces dernières années, parmi lesquelles celle de Yves Lion et du collectif Tomato. La dernière en date, menée par l'agence TVK, a fait l'objet d'une exposition au Pavillon de l'Arsenal (No limits, étude sur l'insertion urbaine du périphérique de Paris). Sur les 16 zones qu'elle distingue autour du périphérique, 6 font l'objet d'un traitement approfondi. Les interventions envisagées alternent notamment des travaux de couverture ponctuelle et des immeubles-ponts.

les 16 zones de l'étude No limits - tvk.fr

A l'heure actuelle, des travaux de couverture ont été entrepris porte des Lilas et porte de Vanves. Mais ils ne se prolongeront certainement pas sur toute la longueur du périphérique, ne serait-ce que pour des raisons de niveau et de coût. A court terme, Paris pourrait donc bien s'inspirer des aménagements effectués à Barcelone, un exemple d'autant plus intéressant qu'il se situe à la même échelle.

(1) 35 kilomètres de route sur une épaisseur de terrain de près d'un kilomètre : 400 mètres de voies avec une bande de 230 mètres de part et d'autre
(2) on compte à L.A. près de 1000 km d'autoroutes sur 1200 km 2. Par comparaison, la région Ile de France (12 000 km2) compte à peine 800 km d'autoroutes.
(3) en France, ce sont par exemple les rocades de Rouen ou de Tours

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